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ma revue de presse journalière
31 août 2022

Vivement le retour de LULA !!!!!!!

31.août.2022 // Les Crises
Brésil : 125 millions de Brésiliens sont en proie à l’insécurité alimentaire. 55% ne peuvent plus s’offrir de viande
 

Le Brésil est le plus grand pays exportateur de bœuf au monde, et pourtant la moitié de sa population dit ne plus pouvoir s’offrir de viande rouge. Le président Jair Bolsonaro réfute l’existence du problème, même si sa politique aggrave la crise du coût de la vie de beaucoup de Brésiliens.

Source : Jacobin Mag, Oscar Broughton
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le Brésil se dirige vers des élections présidentielles cet octobre ; et pour le Parti des travailleurs (PT) qui défie le président sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro, les prix alimentaires sont en tête de l’ordre du jour. Ces dernières semaines, les réseaux sociaux ont été submergés de vidéos de soutiens du PT manifestant dans les supermarchés, collant des post-it sur des produits alimentaires pour montrer à quel point ils étaient moins chers sous le président de gauche Luiz Inácio Lula da Silva, ou Lula.

À côté de ces manifestations, des membres du Mouvement des sans-toit ont manifesté en juin dans les food-courts de centres commerciaux de luxe de la plus grande ville du Brésil, São Paulo. Pendant cette action, des manifestants tenaient des drapeaux repeints avec le mot « Fome » (Faim) et portaient des petits morceaux d’os, en référence aux images largement diffusées peu auparavant de gens cherchant des restes de viande dans les déchets de boucheries.

Ces actions ont été inspirées par un récent rapport atterrant publié par le Réseau brésilien de recherche sur la souveraineté et la sécurité alimentaires et nutritionnelles (PENNSAN). Il a mis la lumière sur cette sinistre réalité : 125,2 millions de brésiliens, soit 58,7% de la population, vivent couramment un certain degré d’insécurité alimentaire. La force de ce rapport s’est ressentie à travers tout le paysage médiatique du pays, de nombreux titres affichant le nombre 33,1 millions, le nombre de gens au Brésil qui souffrent de la faim au quotidien.

Derrière ces chiffres se cachent les liens implacables entre nourriture, politique et économie. Comme le constate clairement le rapport du PENNSAN, cette « régression historique » est le résultat direct de plusieurs facteurs évidents. À court terme, la forte inflation, en particulier sur les prix alimentaires, a été aggravée par la perturbation des chaînes d’approvisionnement due à la pandémie du Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Cependant, s’y associe également le problème de plus long terme de l’accroissement des inégalités économiques, particulièrement depuis le nouveau programme d’austérité lancé en 2016.

Des steaks inaccessibles

Un repas brésilien classique se compose de riz, de haricots, de légumes, et d’un peu de viande, le plus souvent du boeuf, du poulet, du porc ou du poisson. L’augmentation du coût de la viande a été particulièrement dévastatrice : en 2021 elle a augmenté trois fois plus vite que le taux d’inflation global. Cela s’est traduit, dans un pays actuellement le plus grand exportateur de boeuf et de poulet et le quatrième exportateur de porc, par une population maintenant contrainte de restreindre sa propre consommation.

Story Instagram de l’ancien président Lula, qui montre des images de post-it dans les supermarchés faisant état de la baisse des prix des produits de base obtenue pendant son mandat.

La viande est un marqueur social particulièrement important dans la société brésilienne. Historiquement, c’est un élément central de nombreux plats nationaux célèbres, comme la feijoada, un ragoût aux haricots, porc fumé et boeuf séché. Pourtant, à cause de l’augmentation des prix, aujourd’hui 55% des brésiliens affirment avoir arrêté d’acheter de la viande rouge.

Le boeuf a tout spécialement une place à part dans la psyché nationale. Dans un pays qui s’enorgueillit du churrasco, un style de cuisine traditionnel sur feu ouvert avec un grill ou des brochettes, la consommation de boeuf est devenue un marqueur clé de l’identité brésilienne. Ce style de cuisine est devenu de plus en plus populaire au Brésil durant le milieu du vingtième siècle, quand l’ensemble de la population a acquis un accès croissant à de la viande bon marché grâce à la montée en flèche des taux de production de boeuf. En réponse, de nouveaux restaurants ont commencé à ouvrir à travers le pays, particulièrement dans les régions productrices de boeuf comme Rio Grande do Sul. Ces restaurants ont contribué à cultiver un sens croissant de l’intégration nationale, associée à des références aux éleveurs de bétail brésiliens, appelés gaúchos. De plus, le churrasco a une dimension très genrée. La cuisine et la préparation sont largement associés aux hommes : ne pas être capable d’avoir les moyens de cuisiner son morceau préféré de picanha (croupe de boeuf) est perçu comme émasculant.

Si le churrasco est une facette culinaire essentielle de l’identité nationale, l’importante inflation actuelle a placé la viande au-delà des budgets de nombreux brésiliens. L’inflation est à son plus haut niveau depuis 2003. D’après les données publiées par la Fondation Getulio Vargas en mai, les prix à la consommation au Brésil ont augmenté de 11,73% les douze derniers mois. Cela a conduit à l’augmentation vertigineuse de 72,9% du prix des produits alimentaires. Cette tendance a aussi été mesurée par le Département intersyndical de statistique et d’études socio-économiques (DIEESE), qui produit chaque année des études sur les prix des produits alimentaires pour le mouvement syndical brésilien. Plus récemment en mars, le DIEESE a mesuré des augmentations des prix des produits alimentaires dans les dix-sept capitales des États brésiliens, avec les augmentations les plus importantes à Rio de Janeiro (7,65%), Curitiba (7,46%), São Paulo (6,36%), et Campo Grande (5,51%).

Ces augmentations sont d’autant plus dangereuses qu’elles n’ont pas été accompagnées par une hausse des salaires. D’après le DIEESE, alors que le salaire minimum mensuel cette année s’élève à 1 212,00 réaux (225 dollars US), la somme réellement nécessaire pour subvenir aux besoins de base comme la nourriture a augmenté de 5 997,14 réaux (1 115 dollars US) au début de 2022, à 6 535,40 réaux (1 215 dollars US) en juin.

Ces chiffres sont confirmés par ce que disent les Brésiliens. Daniel Fabre, un avocat du travail de São Paulo, m’a déclaré : « Tous les membres de ma famille, y compris les plus riches, se plaignent des prix de l’alimentation… Je considère appartenir à la classe moyenne, mais pour moi et ma famille, il y a des produits que nous avons dû arrêter d’acheter. » À propos de son salaire, « proportionnellement, mon salaire est identique, mais les prix de l’alimentation ont crû beaucoup plus que les salaires. »

Rafael Lucio, un prévisionniste des ventes à São Paulo en couple avec un docteur, a une histoire identique. Il explique qu’ils avaient l’habitude de manger au restaurant et de commander des plats tous les jours. Cependant, « depuis les dix derniers mois, nous avons commencé à n’acheter que des produits surgelés car c’est bien moins cher. »

Normalement, le salaire de Rafael est ajusté sur une base annuelle indexée sur l’inflation, mais à cause des forts taux d’inflation des six derniers mois, il constate : « Je deviens de plus en plus pauvre chaque mois à cause de l’inflation. Il explique ensuite : J’avais l’habitude d’acheter cinq cents grammes de café 12 réaux (2,25 dollars US) il y a quelques années… et maintenant c’est littéralement deux fois plus cher. »

Comme la plupart des travailleurs brésiliens, Rafael reçoit chaque mois un ticket repas (vale-refeição et vale-alimentação) de son employeur évalué à 700 réaux (130 dollars US). Normalement, dit-il, cela couvrirait le coût de l’alimentation pour lui pour le mois entier. Pourtant, « en juin, j’ai épuisé ce ticket le 5, en seulement cinq jours… Ce n’était jamais arrivé avant. »

Cette grave situation économique s’ajoute à une situation politique déjà tendue au Brésil, qui va certainement empirer les prochains mois. Les élections présidentielles de cette année verront un affrontement majeur enre la gauche et la droite, le candidat du PT Lula, président de 2003 à 2011, affrontant le président actuel Bolsonaro. Dans cette compétition, l’accès à la nourriture est assurée de rester un sujet central, notamment vu les approches éminemment différentes prises par leurs gouvernements respectifs en matière de politique alimentaire.

Un gros mensonge

Sous le gouvernement actuel de Bolsonaro, l’alimentation est devenue extrêmement politisée, et la situation des brésiliens les plus pauvres encore plus difficile. Le président clame : « Dire que des gens souffrent de la faim au Brésil est un grand mensonge. » Ce déni ne reflète pas seulement une réticence à reconnaître le problème croissant de la faim au Brésil. Il cache également la manière dont la propre politique du président y a contribué.

Le 1er janvier 2019, son premier jour officiel à son poste, Bolsonara a aboli le Conseil national de sécurité alimentaire et nutritionnelle, qui aidait à élaborer des politiques assurant à tous les brésiliens un accès à la nourriture. Sous son mandat, le gouvernement a proposé de privatiser vingt-sept des quatre-vingt-douze centres de stockage utilisés par la CONAB (Société nationale d’approvisionnement) [Entreprise publique rattachée au Ministère de l’Agriculture, NdT], qui ont finalement été fermés. Les réserves publiques de denrées alimentaires qui composent la majorité des plats brésiliens, comme les haricots, le maïs et le riz, sont maintenant largement insuffisantes pour faire face à l’urgence alimentaire actuelle.

Les privatisations et dérégulations sont des pierres angulaires du programme du gouvernement de Bolsonaro. Cela a contribué à ramener le Brésil sur la liste du Programme alimentaire mondial en 2021, alors qu’il avait réussi à ne plus y figurer en 2014. Ces politiques ont été construites à partir d’un programme d’austérité hérité des gouvernements précédents, commencé en 2016.

En 2015-2016, l’économie brésilienne a été frappée par une récession économique majeure et un chômage croissant. Ces drames ont été intensifiés par une crise politique qui a finalement conduit à la destitution de la présidente Dilma Rousseff en avril 2016. Même avant, le gouvernement a dû réduire ses dépenses de quelque 70 millions de réaux (13 millions de dollars US) pour tenter de maîtriser la récession. Ce tournant vers l’austérité s’est intensifié sous le président suivant, Michel Temer, qui a introduit un nouvel amendement constitutionnel établissant un moratoire de vingt ans sur l’augmentation des dépenses dans les domaines de la santé et l’éducation. Ces coupes ont directement affaibli les efforts de santé publique qui promouvaient la consommation d’aliments sains pour combattre l’obésité excessive et les maladies liées à une mauvaise alimentation.

Une guerre pour sauver des vies

La situation au Brésil il y a vingt ans offre un contraste saisissant avec la politique alimentaire actuelle.

En 2003, le PT est entré au gouvernement sous Lula et a introduit un de ses projets phares, Fome Zero (Zéro Faim), avec pour but l’éradication de la faim et de l’extrême pauvreté au Brésil. Cela a pris la forme de mesures diverses, allant de transferts directs d’argent aux familles les plus pauvres via la Bolsa Familia (Allocation familiale), à l’ouverture de restaurants populaires qui fournissaient de la nourriture bon marché, la création de nouvelles citernes d’eau pour atténuer la pénurie d’eau, l’introduction de campagnes de nutrition, et la distribution de vitamines et de suppléments alimentaires.

Parmi ces mesures, Bolsa Família est sans aucun doute la plus remarquable. Pour être éligibles, les familles devaient prouver que leurs enfants suivaient l’école et étaient complètement vaccinés. Cette condition a depuis été abandonnée par le nouveau programme social de Bolsonaro, Auxílio Brasil.

Fome Zero, introduit pour la première fois en 2003, avait été conçu deux ans auparavant. De cette manière, le PT a pu développer un ensemble de mesures qui non seulement se sont avérées populaires et couronnées de succès, mais ont aussi démontré l’importance d’approches structurelles de long terme dans la construction de politiques.

Lors de son inauguration le 1er janvier 2003, Lula a insisté sur son importance :

« Nous allons créer des conditions appropriées pour que tous les gens de notre pays puissent avoir trois repas convenables par jour, chaque jour, sans avoir à dépendre de dons de qui que ce soit. Le Brésil ne peut plus tolérer de telles inégalités. Nous devons éradiquer la faim, la pauvreté extrême, et l’exclusion sociale. Notre guerre n’est pas destinée à tuer – elle est destinée à sauver des vies. »

Les systèmes alimentaires socialistes

La crise actuelle et la situation historique de la politique alimentaire au Brésil fournissent aux socialistes matière à réflexion, notamment sur l’importance de considérer structurellement les systèmes alimentaires.

La crise actuelle est le produit d’un mélange de tendances de court et long termes, comprenant des politiques d’austérité, la stagnation des salaires, et l’inflation rampante des prix alimentaires. Penser de façon structurelle l’alimentation offre aussi la solution à ces problèmes, comme l’incarne le cas historique de Fome Zero, qui se distingue par ses efforts considérables pour lutter contre la faim au Brésil. De plus, le fait que ce programme ait (au moins partiellemen) été imaginé de nombreuses années avant sa réalisation indique la nécessité d’approches structurelles de long terme pour résoudre et socialiser les systèmes alimentaires.

Réfléchir structurellement aux interactions entre alimentation, politique et économie est particulièrement important pour contrer les clichés perpétuellement repris dans les media libéraux comme The Guardian, qui disserte avec emphase sur la consommation individuelle comme solution au changement climatique, évitant d’aborder les situations qui créent la pauvreté alimentaire.

Les socialistes devraient éviter d’individualiser des problèmes structurels, permettant à des opposants puissants de se tirer d’affaire. Nous avons déjà vu cette logique à l’oeuvre avec des concepts comme l’empreinte carbone individuelle, pensée comme un moyen de reporter la responsabilité du changement climatique des grandes entreprises de combustibles fossiles vers les consommateurs individuels.

À l’inverse, les solutions aux problèmes collectifs doivent être collectifs – et donc politiques. Afin de surmonter la crise que le Brésil traverse aujourd’hui sous Bolsonaro, il est vital que le Parti des travailleurs revienne au pouvoir cette année, et que tout le soutien international disponible soit mobilisé vers cet objectif.

Contributeurs

Oscar Broughton est historien, il vit à Berlin et a récemment terminé sa thèse sur l’histoire du socialisme de guilde.

Source : Jacobin Mag, Oscar Broughton, 17-07-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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