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ma revue de presse journalière
27 mai 2022

Un excellent article publié sur FB =

François MARTIN examine aujourd'hui les différents leviers et déterminants du conflit en Ukraine, et les solutions qui s'offrent aux belligérants : la Russie et les Etats-Unis. Cette analyse est, de notre point de vue, l'une des plus réalistes et des mieux posées du moment.
— "Comment tout cela va-t-il finir ?" —
C’est la question que tout le monde se pose, et ceux qui connaissent bien la situation sont de plus en plus inquiets.
Outre la violence qu’elle met en scène, toute guerre provoque une vive inquiétude, pour deux raisons. La première est l’incertitude sur l’issue des combats, quand cette issue est porteuse de futurs dangers pour nous, et l’autre est le résultat de possibles négociations, qui seraient amenées à changer notre univers politique ou social. Ici, l’incertitude est encore plus grande, d’une part parce que les deux principaux belligérants, les USA1 et la Russie, sont les deux plus grandes puissances nucléaires au monde, et d’autre part, et c’est le plus grave, parce qu’elles ne se parlent pas.
—- La nécessité d’un dialogue entre belligérants —-
Jusqu’à présent, dans tous les « grands » conflits du passé, en même temps que, sur le terrain, se poursuivaient les combats, des discussions avaient lieu en parallèle entre les ennemis, pour une possible issue négociée. Ce fut le cas, en particulier, pendant la deuxième guerre mondiale, où l’on sait, par exemple, le rôle éminent qui fut joué par le Vatican2. Même si, à l’époque, l’un des belligérants fut totalement vaincu, il exista malgré tout, pendant toute la durée de la guerre, un « canal de discussion » tel qu’on pouvait penser qu’à un certain moment, celle-ci pouvait s’arrêter.
De même, lors de l’un des épisodes les plus dangereux de la guerre froide, la crise des missiles de Cuba, la négociation entre les USA et l’URSS fut intense, et ce fut elle – et non pas un épisode militaire – qui mit fin à l’escalade. À l’époque, les responsables américains avaient reconnu que le plus important à leurs yeux était le fait que, bien que n’étant pas d’accord, Américains et Russes s’étaient toujours parlé et compris. Grâce à cela, la situation n’avait pas dérapé. Sans ces échanges, il est probable que la guerre nucléaire aurait eu lieu. Au-delà des divergences – et elles étaient fort grandes –, il existait deux « principes », presque philosophiques, communément partagés : l’un était le fait que chacun des belligérants considérait qu’il avait en face de lui des hommes capables de raisonnements rationnels, l’autre que le but final de la tension était de trouver une issue acceptable pour les uns comme pour les autres.
Il semble que, dans le cas présent, ces deux principes n’existent plus.
Du côté des Russes, ceux-ci ont toujours affirmé la même chose : l’approche de plus en plus marquée de l’Otan près de leurs frontières les met en danger. Ils ont toujours demandé qu’une négociation soit menée afin qu’une architecture de sécurité les protège contre les risques d’agression occidentale. Ils le disaient bien avant la crise, et ils l’ont répété depuis. Même si, depuis le début de la guerre, et parce que cette discussion n’intervient toujours pas, ils ont modifié leurs buts militaires et cherchent aujourd’hui des gains stratégiques en poursuivant leur opération vers la mer d’Azov et la mer Noire, c’est bien cela, leurs garanties de sécurité, à obtenir à travers un dialogue sérieux, qui est le cœur de leur préoccupation. Il est clair que ce danger les obsède, et c’est facile à comprendre. Or ce sujet, que ce soit avant la crise ou depuis qu’elle a lieu, pour des raisons incompréhensibles, n’a jamais été véritablement pris en compte.
Normalement, dans un conflit « classique », dès que les premières opérations militaires commencent, soit les belligérants eux-mêmes, soit les « messieurs bons offices » qui les entourent, proposent un cessez-le-feu, puis l’ouverture de couloirs humanitaires, puis si possible la consolidation du cessez-le-feu, le temps que les diplomates fassent leur travail et trouvent une solution « amiable », la moins mauvaise possible. Ce ne sont pas les « fautes » ou les responsabilités réciproques qui prévalent, mais la possibilité d’arrêter la violence. Ici, rien de tout cela ne semble enclenché. Aucune « grande » voix n’appelle au cessez-le-feu. Bien au contraire, au fur et à mesure que les combats se déroulent, se poursuivent aussi la diabolisation de l’adversaire et les déclarations martiales selon lesquelles « il est un criminel », il convient de le « punir », ou bien « sa défaite est possible », sinon probable. On assiste à une escalade verbale et politique permanente, à l’inverse des « principes » énoncés précédemment. Et cette escalade, il faut le reconnaître, est le fait des Occidentaux. Tout se passe comme s’il existait un « méchant », la Russie, qu’il faut battre à tout prix, et un « gentil », l’Ukraine, qui doit gagner à tout prix. Rien de pire que cela pour rechercher les voies de la paix.
Et dans ce cadre conceptuel délétère, l’un des belligérants est la première puissance nucléaire du monde ; les Européens, qui n’étaient pas directement concernés, se sont eux-mêmes placés en quasi-première ligne ; et les Américains, qui sont les « commanditaires » de l’occident, sont en deuxième rideau, et sans risque militaire direct ! Tout cela rend la situation aussi dangereuse, plus dangereuse encore, selon certains experts, qu’elle ne l’a jamais été depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. C’est cette configuration folle, où l’on a l’impression que les décideurs du monde occidental ont perdu tout sens commun, qui rend si difficile d’imaginer une sortie de crise qui ne soit pas un cataclysme. Il faut pourtant essayer de le faire.
—- Les lignes rouges à ne pas franchir —-
Examinons tout d’abord les « lignes rouges », celles que, semble-t-il, les belligérants ne veulent pas franchir. À partir de là, peut-être est-il possible de bâtir des scénarios plausibles.
La première d’entre elles semble être la réticence des Américains, et aussi des Européens, pour envoyer directement des troupes. Si l’on assiste, presque journellement, à des rodomontades des uns et des autres, et même si Zelensky tente par tous les moyens d’appliquer la consigne américaine de pousser à l’internationalisation militaire du conflit3, il y a loin de la coupe aux lèvres. Envoyer des armes, oui, même si ce sont pour la plupart des vieux stocks, même si l’essentiel est détruit avant même d’être arrivée à ses destinataires4, et même si une bonne partie de l’aide américaine ne sert pas à financer ces matériels, mais à payer les fonctionnaires du pays, l’Ukraine étant totalement en faillite… Envoyer des troupes, c’est tout autre chose. Les Occidentaux tentent, par leurs discours belliqueux, de masquer cette faiblesse majeure : sauf à envoyer quelques dizaines, ou même quelques centaines de « conseillers » sous uniforme privé, ce qui ne changera guère le cours de la guerre, ils ne sont pas prêts à s’engager directement. Lorsque, comme c’est probable, il n’y aura plus d’armée ukrainienne d’ici quelques semaines5, ils se trouveront devant un dilemme : à qui livrer les armes ? Et que faire au-delà ? Il faudrait un « casus belli », tel qu’il permettrait à l’Otan de déclarer la guerre directement à la Russie, soit sur le territoire ukrainien, soit même en Russie. C’est probablement ce que cherchent les USA, mais même si c’est le cas, on peut douter qu’ils prennent le risque de s’engager vraiment à fond sur ce plan. Il faudrait pour cela utiliser les « supplétifs » européens. Les convaincre sera une autre paire de manches…
De l’autre côté, Poutine sait tout cela parfaitement. Il sait que, tant que le conflit ne déborde pas directement des frontières de l’Ukraine, il est lui-même relativement protégé contre une telle internationalisation. Pour cette raison, et même s’il met régulièrement en garde les Occidentaux contre les risques d’escalade nucléaire de leurs positions, il reste prudemment, pour le moment, dans les limites du pays. Alors qu’il aurait pu facilement détruire les stocks d’armes entreposées près de la frontière du côté polonais6, il évite soigneusement de le faire, précisément pour ne pas ouvrir la porte à une telle escalade. On peut aussi penser que c’est pour cette raison qu’il a engagé aussi peu de troupes dans cette opération, 150 000 hommes, soit pas plus de 7 % de son armée, une gageure pour attaquer un pays de 600 000 km7. Il se doit d’être très prudent, et de conserver les réserves sufisantes pour une extension possible du conflit sur son propre sol. Et même si probablement la Suède, et surtout la Finlande, risquent d’être acceptés bientôt dans l’Otan, il se gardera bien de s’en prendre à elles directement, fortement et tout de suite, malgré la menace nouvelle qui va peser sur lui8.
Avant tout, il doit régler son problème avec l’Ukraine et, pour cela, il doit d’abord en écraser l’armée. Après cela, la configuration politique aura entièrement changé, parce qu’il pourra dicter ses conditions. Pour cette raison, peu lui importe de dégarnir ses troupes dans des parties du pays moins stratégiques (et même à Kharkiv). Peu lui importe que s’agite la communauté internationale, que s’enflamment les discours, que Zelensky s’exprime encore et encore, que la noria des dirigeants du monde entier fasse la queue à Kiev, que le nième train de sanctions soit voté. Peu importe même que les alliés construisent, à travers la livraison permanente de « petites » armes à des groupes désorganisés ou mafieux, un pays « libanisé » et désormais ingouvernable, surtout dans sa partie Ouest (la partie de l’Est sera à terme intégrée à la Russie). Lui poursuit un but bien précis et un seul : c’est devant le Donbass que se décidera l’affaire, et nulle part ailleurs.
Lorsqu’on en sera là, pense-t-il, il faudra bien parler. Et en face, le camp commence à se fissurer.
—- Échec de la stratégie américaine —-
En effet, on voit bien que la stratégie américaine, sur tous les plans, a fait long feu. Sur le plan militaire, l’envoi des matériels ne semble pas, en tout cas jusqu’ici, avoir été aussi efficace qu’espéré9. Sur le plan économique, la série des sanctions n’a pas mis la Russie à terre10. Bien au contraire, l’augmentation des prix et l’inflation vont peser sur les économies européennes de plus en plus. Par rapport à cela, la dépense de milliards de matériels en pure perte va apparaître bientôt comme une erreur tactique majeure faite par nos gouvernements. Enfin, sur le plan diplomatique, les USA n’ont pas réussi à isoler la Russie. La plupart des pays du monde n’ont pas suivi. C’est plutôt le bloc occidental qui apparaît au contraire isolé, et plus encore si l’on considère que se met progressivement en place, à la faveur des sanctions prises, un système de paiement mondial alternatif, qui ferait perdre au USD son monopole11.
Par ailleurs, Poutine sait que le système démocratique occidental est par essence fragile. Il ne résiste pas durablement à la douleur… Déjà, l’Italie commence à faire marche arrière. Alors qu’au début, les dirigeants européens sont tous partis en guerre, la fleur au fusil, la maréchale Von der Leyen en tête, sur l’air de « Méchant Poutine, on va te faire la peau », les choses, et l’opinion en premier lieu, peuvent se retourner très rapidement. Dans ce cas, les « rétropédalages » seront aussi rapides que les déclarations initiales. Pour cette raison, le leader russe n’a pas cherché, lui, à « punir » les Occidentaux, en leur coupant le gaz d’un coup, ce qu’il pouvait facilement faire. Il a craint que les opinions ne prennent alors fait et cause contre lui, et fassent bloc autour de leurs gouvernements12. Au contraire, il « serre le nœud » très progressivement, laissant les opinions et les gouvernements peser, en face à face, le résultat des actions intempestives de ces derniers, non concertées préalablement avec leurs peuples. Si la zizanie s’installe ici, et se répand, c’est gagné pour lui13.
Et même aux USA, la chose peut se produire. En effet, Poutine le sait, la campagne des mid-terms sera le prétexte d’un débat intense. Si, comme l’espérait certainement Biden, celle-ci aurait été, en cas de victoire, l’occasion de faire remonter fortement sa cote de popularité bien compromise depuis deux ans, au contraire, si l’échec s’annonce, ce pourrait être pour lui une véritable Bérézina politique. C’est pour camoufler (plus encore que pour conjurer) cette menace, qu’il fait voter des budgets militaires de plus en plus pharamineux. Mais, pour beaucoup d’observateurs américains, cette fuite en avant sera observée comme une forme de panique14. Déjà, certains militaires de haut rang émettent des doutes sur la pertinence d’une telle stratégie. Face à cela, s’il doit assez rapidement gagner sa bataille du Donbass15, pour le reste, Poutine n’a qu’à attendre. Et plus il attendra, plus la position occidentale apparaîtra comme inefficace sur le plan tactique et exorbitante en termes de coût. Le temps joue à 100 % pour lui. (...)
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