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ma revue de presse journalière
22 novembre 2021

INSTRUCTIF !!!

L’hypocrisie de l’Europe sur les réfugiés de la « guerre contre le terrorisme »
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Les personnes piégées en mer ou croupissant dans les camps de réfugiés du monde entier ne sont accueillies que si elles servent de caution politique, écrit Ramzy Baroud.

Source : Consortium News, Ramzy Baroud
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Un camp de réfugiés en Turquie visité le 10 février 2016 par des membres du Parlement européen. (Parlement européen, Flickr, CC BY-NC-ND 2.0)

La langue est politique et la politique est le pouvoir. C’est pourquoi l’utilisation abusive du langage est particulièrement inquiétante, surtout lorsque les innocents et les vulnérables en paient le prix.

Les guerres menées ces dernières années en Syrie, en Libye, en Afghanistan et dans d’autres pays du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique, ont entraîné l’une des plus grandes catastrophes humanitaires, sans doute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Au lieu d’élaborer une stratégie mondiale unifiée faisant du bien-être des réfugiés de ces conflits une priorité absolue, de nombreux pays les ont complètement ignorés, les ont rendus responsables de leur propre misère et, parfois, les ont traités comme s’ils étaient des criminels et des hors-la-loi.

Mais ce n’est pas toujours le cas. Au début de la guerre en Syrie, le soutien aux réfugiés syriens était considéré comme une vocation morale, défendue par des pays du monde entier, du Moyen-Orient à l’Europe et même au-delà. Bien que la rhétorique ne soit souvent pas suivie d’actions, l’aide aux réfugiés était considérée, en théorie, comme une prise de position politique contre le gouvernement syrien.

À l’époque, les Afghans ne faisaient pas partie du discours politique occidental sur les réfugiés. En fait, ils étaient rarement considérés comme des réfugiés. Pourquoi ? Parce que, jusqu’au 15 août – date à laquelle les talibans sont entrés dans la capitale, Kaboul – la plupart de ceux qui fuyaient l’Afghanistan étaient considérés selon une autre classification : migrants, immigrants illégaux, étrangers en situation irrégulière, etc. Pire encore, ils étaient parfois dépeints comme des parasites profitant de la sympathie internationale pour les réfugiés, en général, et les Syriens, en particulier.

La leçon à tirer est que les Afghans fuyant leur pays déchiré par la guerre et occupé par les États-Unis n’étaient pas d’une grande utilité politique pour leurs pays d’accueil potentiels. Dès que l’Afghanistan est tombé aux mains des talibans et que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont été contraints de quitter le pays, le discours a immédiatement changé, car les réfugiés avaient alors une utilité politique.

Luciana Lamorgese en 2014. (Ministero Interno, CC BY 3.0, Wikimedia Commons)

Par exemple, la ministre italienne de l’Intérieur Luciana Lamorgese a été l’une des premières à défendre la nécessité d’un soutien européen aux réfugiés afghans. Elle a déclaré lors d’un « Forum de l’Union européenne sur la protection des Afghans », le 8 octobre, que l’Italie travaillerait avec ses alliés pour s’assurer que les Afghans en fuite puissent atteindre l’Italie via des pays tiers.

L’hypocrisie est ici palpable. L’Italie, comme d’autres pays européens, a fait tout son possible pour empêcher les réfugiés d’arriver sur ses côtes. Ses politiques ont notamment consisté à empêcher les bateaux de réfugiés égarés en Méditerranée d’atteindre les eaux territoriales italiennes, à financer et à créer des camps de réfugiés en Libye – souvent décrits comme des « camps de concentration » – pour accueillir les réfugiés qui sont « pris » en train de tenter de fuir vers l’Europe et, enfin, à poursuivre les travailleurs humanitaires italiens et même les élus qui ont osé prêter main forte aux réfugiés.

Un ancien maire condamné

La dernière victime en date de la campagne de répression des autorités italiennes à l’encontre des réfugiés et des demandeurs d’asile est Domenico Lucano, l’ancien maire de Riace, dans la région de Calabre (sud de l’Italie), qui a été condamné par le tribunal italien de Locri à plus de 13 ans de prison pour « irrégularités dans la gestion des demandeurs d’asile ». Le verdict comprenait également une amende de 500 000 euros pour rembourser les fonds reçus de l’UE et du gouvernement italien.

Quelles sont ces « irrégularités » ?

« De nombreux migrants à Riace ont obtenu des emplois municipaux alors que Lucano était maire. Des bâtiments abandonnés de la zone avaient été restaurés avec des fonds européens pour fournir des logements aux immigrés », rapporte Euronews.

Domenico Lucano, l’ancien maire de Riace, en Italie, en 2017. (CC BY-SA 2.0, Wikimedia Commons)

La décision a particulièrement plu au parti d’extrême droite Lega. Le chef de la Lega, Matteo Salvini, a été le ministre de l’Intérieur de l’Italie de 2018 à 2019. Pendant son mandat, beaucoup l’avaient commodément blâmé pour la politique anti-immigrants scandaleuse de l’Italie. Naturellement, la nouvelle de la condamnation de Lucano a été bien accueillie par la Lega et Salvini.

Toutefois, seule la rhétorique a changé depuis l’entrée en fonction du nouveau ministre de l’Intérieur italien, Lamorgese. Il est vrai que le langage anti-réfugiés est beaucoup moins populiste et certainement moins raciste – surtout si on le compare au langage offensif de Salvini dans le passé. Les politiques hostiles aux les réfugiés sont restées en vigueur.

Pour les réfugiés désespérés qui traversent l’Europe par milliers, il importe peu que les politiques italiennes soient définies par Lamorgese ou Salvini. Ce qui compte pour eux, c’est leur capacité à atteindre des rivages plus sûrs. Malheureusement, beaucoup d’entre eux n’y arrivent pas.

Un rapport inquiétant publié par la Commission européenne, le 30 septembre, a montré l’impact stupéfiant de l’hostilité politique de l’Europe envers les réfugiés. Plus de 20 000 migrants sont morts noyés en tentant de traverser la Méditerranée pour se rendre en Europe.

Merci de soutenir la campagne d’automne de financement du CN !

« Depuis le début de 2021, un total de 1 369 migrants sont morts en Méditerranée, » indique également le rapport. En fait, nombre d’entre eux sont morts pendant la frénésie internationale prônée par l’Occident pour « sauver » les Afghans des talibans.

Étant donné que les réfugiés afghans représentent une part importante des réfugiés dans le monde, en particulier ceux qui tentent de passer en Europe, on peut supposer sans risque de se tromper que beaucoup de ceux qui ont péri en Méditerranée étaient également des Afghans. Mais pourquoi l’Europe accueille-t-elle certains Afghans tout en laissant mourir d’autres ?

Le langage politique n’est pas inventé au hasard. Ce n’est pas pour rien que nous appelons ceux qui fuient en quête de sécurité « réfugiés ou immigrants illégaux, étrangers en situation irrégulière, sans-papiers, dissidents » etc. En fait, le dernier terme, « dissidents », est le plus politique de tous.

Aux États-Unis, par exemple, les Cubains qui fuient leur pays sont presque toujours des « dissidents » politiques, l’expression elle-même représentant une mise en accusation directe du gouvernement communiste cubain. Les Haïtiens, en revanche, ne sont pas des « dissidents» politiques. Ils ne sont guère des « réfugiés », car ils sont souvent décrits comme des « étrangers en situation irrégulière. »

Ce genre de langage est utilisé dans les médias et par les politiciens comme une évidence. Un même réfugié en fuite peut changer de statut plus d’une fois pendant la durée de sa fuite. Autrefois, les Syriens étaient accueillis par milliers. Aujourd’hui, ils sont perçus comme des fardeaux politiques pour leur pays d’accueil. Les Afghans sont valorisés ou dévalorisés, selon la personne qui dirige le pays. Ceux qui ont fui ou échappé à l’occupation américaine ont rarement été bien accueillis ; ceux qui ont échappé à la domination des talibans sont perçus comme des héros, qui ont besoin de solidarité.

Cependant, pendant que nous sommes occupés à manipuler le langage, des milliers de personnes sont bloquées en mer et des centaines de milliers languissent dans des camps de réfugiés dans le monde entier. Ils ne sont accueillis que s’ils servent de capital politique. Sinon, ils restent un « problème » à traiter – violemment, si nécessaire.

Ramzy Baroud est journaliste et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l’auteur de cinq livres, dont These Chains Will Be Broken : Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons (2019), My Father Was a Freedom Fighter : Gaza’s Untold Story (2010) et The Second Palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle (2006). R. Baroud est chercheur principal non résident au Center for Islam and Global Affairs (CIGA) de l’université Zaim d’Istanbul (IZU). Son site web est www.ramzybaroud.net

Source : Consortium News, Ramzy Baroud, 22-10-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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