Madame Cheveux gris, soixante-dix ans pour le moins, accoste madame Cheveux blancs alors que nous avons déjà fait quelques centaines de mètres depuis la cour de GM & S. On comprend que Cheveux blancs, une petite dame voûtée par les années, était une amie de la défunte mère de Cheveux gris.

— Oh, vous êtes venue, vous aussi ? Mais vous n’allez quand même pas marcher jusqu’à la mairie !

— Mais, ma fille, pourquoi pas ? J’en fais bien plus long que ça tous les jours ! Le médecin dit que la marche m’entretient.

— Ça vous fait quel âge ?

Bon, madame Cheveux blancs esquive la question à plusieurs reprises et on ne saura pas. Mais on aura tout de même un petit élément de réponse. Faut te dire qu’il fait une chaleur estivale et que la route est une fournaise.

— Le chemin ne me fait pas deuil. Mais c’est ce soleil ! Le soleil, ma fille, je m’en moquais bien jusqu’à mes quatre-vingt-dix ans, mais maintenant… J’aurais du prendre mon chapeau de paille. Je vais marcher à l’ombre partout où on va en trouver.

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Elles sont collégiennes ou lycéennes, ces filles qui se font des blagues et qui se marrent. Tout un groupe qui va jouer avec ses bouteilles d’eau… Et, quand c’est vide, on va à la recharge en toquant aux portes sur le chemin… Pas compliqué de trouver les robinets amis : cette grand-mère sur sa terrasse qui fait des V avec ses deux mains, tous ces vieux chez eux qui applaudissent les manifestants, un groupe de jeunes gitanes qui nous sourient, des gens de tous âges qui agitent des drapeaux ou tiennent des affiches sur les balcons, les magasins ornés de grands panneaux où il est écrit que « le magasin Machin est solidaire des salariés de GM & S ».

Philippe Poutou et salariés de l'Indre

Mon voisin se fiche bien des discours qui se succèdent sur le perron de la mairie : il dort à poings fermés. À vue de nez, il n’a guère plus de trois mois, le petitounet bien à l’ombre dans son berceau à roulettes. Est-ce le plus jeune manifestant ? Pas sûr. Nos rangs comptent plusieurs landaus et poussettes.

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Elle porte une longue jupe qui lui cache les chevilles. Elle porte un foulard à la manière turque qui lui cache les cheveux. Elle porte une chemise à manches longues qui lui cache les bras. Elle porte aussi un gilet de travail orange de la “CGT PSA usine de Poissy”. Elle a dans les mains des tracts qu’elle distribue avec vaillance en apostrophant tout le monde avec un aplomb phénoménal. Un Mickaël Wamen au féminin. Une mère courage comme le patronat adore ! Elle fait songer à cette photo du Front populaire où une femme harangue la foule.

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Le gars qui me prend en stop pour repartir est maire d’un bourg rural, pas très loin de La Souterraine, mais dans le département voisin de la Haute-Vienne. Vingt ouvriers de GM & S habitent sa commune.

— Vingt familles qui partent et c’est l’école qui est menacée ! L’Éducation nationale ne nous fera pas de cadeau ! Aujourd’hui j’ai tout de même une petite satisfaction. Nous sommes douze sur quinze du conseil municipal à être venus manifester. J’avais téléphoné à tous pour battre le rappel.