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ma revue de presse journalière
5 juin 2020

UN EXCELLENT ARTICLE =

La tactique de Trump au risque de la guerre civile

  

Trump la Bible à la main annonce la guerre 

La situation étatsunienne est primordiale bien au-delà de l’Amérique. Contrairement à ce qu’on peut penser, on ne perd pas son temps à la commenter, car la façon dont ce pays va trouver une issue à cette crise profonde sera déterminante de la politique dans le monde. Elle dépasse donc la question morale d’une simple condamnation du racisme. L’Amérique brûle, et Trump a dû se planquer dans les sous-sols de la Maison Blanche pour étancher sa peur. Comme à son ordinaire, Trump la Bible à la main est venu faire le bouffon devant les caméras, insultant tout le monde et promettant la trique à tous les manifestants, annonçant qu’il allait mettre de l’ordre à n’importe quel prix. Plus personne ne maitrisant la situation, Trump pense pouvoir se refaire une santé en se présentant comme l’homme de l’ordre, quitte à faire couler le sang en envoyant l’armée faire le ménage. Il faut bien comprendre que cette attitude correspond à son caractère de brute épaisse et capricieuse. Ensuite, il faut comprendre que pour lui c’est la seule façon de refaire son retard sur Joe Biden et retrouver un peu des couleurs dans les sondages. Ça lui permet également d’occuper le tapis et de priver les autres de communications en déballant des décisions dont la plupart ne seront jamais mises en application. Par exemple la récente soi-disant mise au pas de Twitter est inapplicable selon les termes mêmes de la Constitution. Il le sait très bien, même s’il est manifestement idiot, mais il fait comme s’il décidait de quelque chose. Trump tente donc de se transformer en chef de guerre, paradant dès qu’il le peut avec des militaires. Comme beaucoup de ceux qui n’ont pas fait le service militaire[1], il adopte un discours martial, comme si c’était lui qui allait affronter à mains nues les hordes barbares et anarchistes qui sèment le chaos et menacent la propriété. Si on résume la journée 2 juin de Trump à la sortie de son déconfinement c’était le sabre et le goupillon. Ce qui tout de même a fait grincer des dents chez les militaires qui dénoncent une utilisation politicienne de l’armée[2]. Mais il semble que ce soit manqué, non seulement l’armée a fait savoir qu’elle ne le suivait pas dans ses diatribes, qu’elle n’était pas là pour faire la police, mais il semble que les sondages soient très défavorables pour Trump, une très large majorité des Américains désapprouve se façon de traiter les manifestations. C’est à peine un tiers qui trouve que c’est adéquat[3]. Autrement dit cela veut dire que non seulement il a raté son coup de com en voulant apparaitre comme l’homme fort, mais qu’en outre cela risque de lui coûter sa réélection en novembre prochain. Du coup il a fait machine arrière comme à son habitude, en disant que ça ne serait pas nécessaire finalement de faire intervenir l’armée[4]

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Trump paradant avec le général Milley 

En dénonçant les pillages et les incendies, en les attribuant à l’extrême-gauche et aux anarchistes, il fait l’impasse sur le fait que la révolte est massive. C’est d’ailleurs toujours la même tactique de ce genre de politicard, faire comme si les révoltés étaient très peu nombreux et animés seulement par la volonté de semer el trouble. C’est ce même langage que tenait il n’y a guère Macron pour parler des Gilets jaunes. Même en Mai 68 beaucoup de politicards de droite opposaient aux millions de grévistes une majorité silencieuse et travailleuse qui ne perdait pas son temps à revendiquer. Trump n’est pas un homme qui fait dans la subtilité. Il suppose que son électorat ne réfléchit et qu’il lui suffit de percevoir la peur des rouges et des anarchistes pour se ranger derrière lui. Il vient pourtant sous le sens que si les émeutiers américains étaient aussi isolés qu’il le dit, réduits à des bandes de « nègres » fainéants et vindicatifs, habitués à faire des gangs, il n’y aurait pas besoin d’envoyer l’armée pour réprimer la révolte, les polices locales y suffiraient. La tactique est claire, faire des conséquences de la mort de George Floyd une simple guerre raciale, histoire de souder les blancs autour de lui, s’aidant éventuellement de la religion pour faire passer le message, et de faire apparaître Joe Biden comme un ami du désordre. 

 

Arturo Acevedo rejoignant le cortège des manifestants à Houston le 30 mai dernier 

Il me semble que cette tactique est très risquée, d’abord parce que la révolte des Américains va bien au-delà des émeutes traditionnelles des Noirs qui protestent contre le sort qui leur est fait depuis qu’on les a importés comme esclaves. C’est bien pour cela que j’ai mis en évidence le fait que non seulement de nombreux blancs participaient aux manifestations et aux émeutes, voire aux pillages, mais en outre que de nombreux policiers pactisaient avec les manifestants. On a vu le chef de la police de Houston défiler avec les manifestants, et réclamer que Trump ferme sa grande gueule[5]. De mémoire d’Américain on n’avait jamais vu un président se faire traiter de la sorte par un policier. C’est bien que les temps ont changé. Jusqu’à une date récente, les meurtres de noirs par la police entrainaient surtout les manifestations des noirs eux-mêmes. Mais aujourd’hui c’est complètement différent. En 2007 Paul Krugman avait annoncé dans The conscience of a liberal que le prochain président serait un homme de couleur[6]. Cette prémonition reposait sur le fait que la composition démographique de l’Amérique était en train de changer, les blancs devenant minoritaires du fait de l’explosion des migrations et de la montée en puissance des Afro-américains et des hispaniques. Ce fut Obama qui fut élu pour deux mandats dans des conditions difficiles puisqu’il fallait gérer la crise des subprimes. Peu importe qu’il n’ait pas été à la hauteur des enjeux. Mais dans ce contexte, ce qu’il faut souligner, c’est plutôt l’incongruité de l’élection de Trump. Obama est d’ailleurs intervenu pour fustiger aussi bien la gestion calamiteuse de la crise sanitaire que les réactions de Trump au meurtre de George Floyd. Peu importe qu’il ait été un mauvais président, à la différence de Trump, il n’a pas jeté de l’huile sur le feu, mais surtout il peut avoir un impact sur l’élection du 3 novembre prochain. Notez que George W. Bush a pris ses distances avec Trump, critiquant à mots voilés son approche des émeutes, dénonçant les inégalités sociales et raciales, rejoignant de fait le camp démocrate[7], ce qui semble vouloir dire que de nombreux républicains refusent de suivre Trump dans son escalade de la violence. Le parti Républicain aujourd’hui dominé par les durs dans le sillage de Trump semble profondément divisé, ce qui peut avoir des conséquences non seulement sur les élections de novembre, mais plus immédiatement sur le soutien des élus Républicains à la politique de Trump. L’ancien ministre de la défense de Trump qui avait démissionné avec fracas y est allé lui aussi d’une violente charge, sous-entendant que Trump n’avait pas les épaules d’un président[8]

 

La Garde nationale était le 2 juin mobilisée dans tout le pays 

Tout va dépendre de la façon dont les Américains hiérarchisent les responsabilités[9]. Obama qui fait ouvertement campagne contre Trump, a condamné les émeutes et les pillages[10].  S’ils considèrent que Biden mènera à l’anarchie, Trump sera réélu. Si au contraire ils pensent que Trump est une brute épaisse qui conduit le pays à la division et à la guerre civile, alors ils éliront Biden. Il y a quelques jours, ce dernier avait provoqué un tôlé chez les journalistes pour avoir avancé qu’un noir ne pouvait pas voter républicain[11]. Les évènements de ces derniers jours lui donnent pourtant raison. Clinton n’avait pas en 2016 réussi à mobiliser l’électorat noir sur son nom, elle le paya très cher. Le pari de Trump de rassembler tous les blancs contre le reste des Américains est sans doute hasardeux, mais c’est sa seule option.  Cependant s’il était réélu, les Etats-Unis seraient divisés comme jamais et iraient probablement vers la guerre civile. L’extrême-droite néo-nazie et kukuklanesque est sans doute pour ce scénario, mais c’est négliger qu’elle est ultra-minoritaire dans le pays et que la très grande majorité des Américains la rejettent. Il faut cependant prendre cette idée de guerre civile très au sérieux, dans certains quartiers des habitants lourdement armés font mine de protéger leurs maisons des pillards. Ils sont en vérité peu nombreux et assez bien contrôlés par la police, mais il n’empêche que cela peut déraper à n’importe quel moment. C’est évidemment le souhait de Trump. On a vu également certains policiers encourager les habitants à tirer à balles réelles sur les émeutiers. Les pillards sont évidemment une aubaine comme d’habitude pour le pouvoir en place qui peut ainsi exercer sa violence en pensant que l’opinion suivra. Désœuvrés, pauvres sans aucun doute, dépositaires de toutes les frustrations de l’Amérique, les émeutiers mettent le mouvement sur le fil du rasoir. Ce qui va mettre en opposition les catégories et sous-catégories sociales et raciales. Les Américains des grandes villes méprisent les rednecks pauvres et peu instruits et Trump qu’ils considèrent comme leur représentant, bien que milliardaire, les Américains des Etats les plus pauvres se méfient des noirs et des hispaniques aussi bien que de tous ceux qui gagnent beaucoup d’argent en traficotant dans la finance ou dans le high tech. Cet échec du multiculturalisme est évidemment un atout pour Trump dans un pays largement fracturé. La lutte des classes se double d’une lutte des « cultures »[12]. Tout le monde aime le désordre, c’est une loi du capitalisme, à condition qu’il ne dure pas trop longtemps et qu’il débouche sur quelque chose de concret, c’est-à-dire sur une amélioration tangible de la situation. 

 

Blancs exhibant leurs armes pour se protéger des manifestants 

Cependant, ce que nous avons vu ces derniers jours, c’est qu’aux Etats-Unis on commence à dépasser la lutte contre le racisme pour aller vers autre chose[13]. Le fait que dans les manifestations les blancs et les noirs soient rassemblés est un très mauvais signe pour Trump. Cela veut dire qu’on passe par-dessus la lutte pour les droits et qu’on avance sur la question économique, qu’est-ce qu’on produit, pour quoi faire et comment on partage les richesses, ou encore comment on préserve l’environnement. Si les blancs de la classe moyenne détestent aussi autant Trump c’est parce qu’il est l’ennemi de l’écologie et qu’à la faveur de la crise économique – il y a aujourd’hui cinquante millions de chômeurs en ce moment – on réfléchit aussi sur une remise en question du modèle ancien. Dans tous les domaines Trump et les Républicains se sont enfermés dans un discours très passéiste finalement, faisant comme s’ils en étaient restés au temps de la conquête de l’Ouest et du génocide des Amérindiens. Mais dans tous les secteurs les valeurs « libérales » au sens américain du terme ont miné complètement cette possibilité de restauration de l’ordre ancien. 

 

New York 31 mai 

Mais le plan de Trump néglige un autre phénomène, pour imposer une répression militaire des manifestations qui ont lieu dans tour le pays, il va falloir qu’il s’attaque aux pouvoirs locaux, les maires, les gouverneurs ne vont pas voir d’un bon œil ce fascisme se mettre en place, même si sans doute des élus Républicains l’approuveront. Ils vont sans doute très souvent s’y opposer et dénoncer un abus de pouvoir par rapport à la Constitution[14]. Et comme nous l’avons dit plus haut une partie non négligeable de la police ne suit pas Trump dans ses calculs scabreux et électoralistes. A Los Angeles la police est composée à près de 20% par des Noirs, on voit mal ceux-là se ranger du côté des suprémacistes blancs. Tout cela explique que le risque de guerre civile augmente en mettant face à face deux sortes de pouvoirs, celui central de Trump et celui des élus locaux. Notez que Trump avait fait campagne en 2016 contre le centralisme bureaucratique de Washington. Cette tendance des élus locaux qui ont beaucoup de pouvoir, est déjà apparue avec la gestion du coronavirus, les gouverneurs que Trump critiquait se sont moqués de lui et ont persévéré dans leur choix. J’avais parlé alors de risque de sécession, surtout en ce qui concerne les deux Etats les plus riches et les plus peuples, New York et la Californie qui sont dans les faits très hostiles au président peroxydé. Cependant pour évaluer correctement la situation politique il faut attendre de voir jusqu’où ira Trump. Car en effet, si c’est une grande gueule, il recule aussi très souvent, que ce soit face à la Chine, la Russie ou même la Corée du Nord au grand dam des ultras qui le poussent à l’affrontement. Déjà qu’il a passé pour une couille molle avec l’épisode du bunker, je me demande pour quoi il va passer s’il recule sur cette idée de ne pas envoyer l’armée tirer dans le tas. Probablement aussi son attaque contre les Antifas va faire un pschitt retentissant, et il sera moqué pour cela, pour deux raisons :

- la première est que les Antifas nébuleuse aux effectifs maigrelets et peu identifiée ne peut pas être placé sur la liste des organisations terroristes, ne serait-ce que parce que cette liste est réservée à des organisations étrangères ;

- ensuite parce qu’on va vite comprendre que cet écran de fumée vise à masquer son inaction et son impuissance face à la révolte qui secoue le pays. 

 

Los Angeles les restes d’un convoi de voitures de police

Pourquoi s’intéresser autant à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique ? Les raisons sont multiples. D’abord il va de soi que si ce pays sombre dans le chaos économique et social, le reste du monde en subira les conséquences bonnes comme mauvaises. Ensuite parce qu’à l’évidence et dans tous les domaines les Etats-Unis sont le pays où le capitalisme est le plus avancé, donc le plus décomposé en même temps.  Ce qui se passe là-bas est le signe avant-coureur de ce qui se passera chez nous bientôt. Incidemment l’exemple américain risque de faire tache d’huile ailleurs dans le monde, particulièrement dans les pays où l’immigration est forte, en Europe notamment où les organisations d’immigrés ont vu l’opportunité à saisir. On a vu en France des manifestations en faveur d’Adama Traore dégénérer dans une comparaison très douteuse entre les deux pays[15]. On comptait au moins 20 000 personnes le 2 juin 2020. Les manifestations en faveur d’Adama Traore ont été relancées par une nouvelle expertise, commandée par la famille de Traore qui conclut que celui-ci est bien mort des suites des brutalités policières, bien qu’une troisième expertise soit venue dédouaner encore les gendarmes, ce qui ajoute encore à la confusion[16]. Le seul point commun est la violence choquante de la police aux Etats-Unis comme en France, mais c’est bien le seul. Un débat s’est instauré pour savoir si la police française était aussi violente que la police américaine. Marianne concluant qu’en France on tue moins qu’aux Etats-Unis[17]. Ce qui est peut-être vrai, mais ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas en train de nous « américaniser » peu à peu. Les mensonges habituels de la police, couverts par les politiques, ont évidemment jeté de l’huile sur le feu. Les Afro-américains ne sont pas des migrants ou des descendants d’immigrés. Mais en outre la mouvance qui mène les actions en faveur d’Adama Traore tente de faire avancer une logique victimaire et racialiste, c’est-à-cire séparatiste, tandis que comme on l’a souligné plusieurs fois aux Etats-Unis cette dimension est absente, c’est ce qui a permis que les blancs et les noirs manifestent ensemble.  Plusieurs sources policières annoncent en France un soulèvement imminent des banlieues, mais on n’a pas trop d’éléments pour vérifier cela. Pour ce qu’on sait les racialistes mènent en France un combat séparé, ils n’ont jamais voulu rejoindre les Gilets jaunes par exemple. Cependant ce mimétisme devrait inquiéter le gouvernement qui pour l’instant a choisi de réprimer durement les Gilets jaunes, mais pas les racialistes. Les Gilets jaunes mènent un combat beaucoup plus large, bien au-delà de la lutte contre le racisme, tandis que les soutiens d’Adama Traore ne se trouvent qu’à l’extrême-gauche, celle du NPA. Si en France la jonction entre les « immigrés » et le reste de la population ne se fait pas sur le plan politique, c’est essentiellement à cause de la question religieuse et de l’Islam. Tant qu’on se préoccupe de l’islamophobie et du port du voile, on n’avance pas. Depuis la fin des années soixante les trotskistes en France ont misé sur la misère des immigrés pour faire la révolution, c’est une stratégie stupide et sans avenir qui produit seulement l’enfermement et le séparatisme. Mais justement ce qu’il y a d’intéressant dans les luttes qui se développent aux Etats-Unis, c’est qu’elles dépassent très largement la question du racisme. Or les « penseurs » du NPA voudraient empêcher d’aller au-delà de cette question. L’amalgame que tente de faire les trotskistes et les « racisés » a permis de réunir un grand nombre de manifestants, mais le gros des troupes était composé des personnes issues des banlieues et bien sûr des migrants sans papiers, les autres catégories de la population, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, ne se sont pas jointes en masse à cette manifestation. Seule Virginie Despentes… 

 

Manifestation à Paris pour Adama Traore le 2 juin



[1] Trump qui est un grand menteur s’était fait prendre la main dans le sac lors de la dernière campagne présidentielle en mentant sur cette question, parce qu’il s’adressait à l’extrême-droite qui aime les uniformes et les généraux à poigne. https://www.lepoint.fr/monde/le-petit-mensonge-de-donald-trump-sur-son-service-militaire-03-08-2016-2058896_24.php

[6] W.W. Norton, 2007.

[12] Il y a quelques années l’impayable Rokhaya Diallo nous disait que la France a beaucoup à apprendre du multiculturalisme américain. Cette propagandiste des idées les plus tordues ne se trompait pourtant pas, nous apprenons tous les jours que c’est un échec total. Notez qu’elle fut une Young leader, c’est-à-dire qu’elle a bénéficié d’un plan de formation au libéralisme aux Etats-Unis mêmes. Comme Macron, Philippe et quelques autres. https://france-amerique.com/fr/rokhaya-diallo-la-france-a-beaucoup-a-apprendre-des-etats-unis-en-matiere-de-diversite/

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